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·23 December 2024
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Intronisé sélectionneur de la Côte d’Ivoire le 29 janvier dernier, Emerse Faé n’a eu besoin que de 14 jours pour remporter la Coupe d’Afrique des Nations. Une ascension fulgurante pour un entraîneur qui connaissait sa première expérience sur un banc professionnel. Dans le tumulte des célébrations, l’ancien Niçois a tout de même pris le temps de développer sa vision du football à travers l’Instant tactique.
Voici quelques extraits de notre interview de Emerse Faé. L’intégralité de cet interview de 6 pages est à retrouver dans le magazine n°365 de Onze Mondial disponible en kiosque et sur notre eshop depuis le 13 mai.
Les débuts dans le foot
« Ça a commencé dans mon quartier à Nantes, le quartier Malakoff. C’était un petit quartier avec un terrain de football en bitume. Tous les week-ends, les vacances, les jours fériés, on jouait au football. On avait aussi un gymnase où l’on pouvait jouer en intérieur. C’était sur un terrain de handball, mais on jouait à 12 contre 12 parfois. Une fois par an, l’été, il y avait le tournoi inter quartier. Tous les quartiers de Nantes faisaient leur équipe. Ensuite, j’ai pris ma première licence dans mon quartier, à Malakoff. C'est un club sans moyens. À l’époque, mes parents non plus n’avaient pas de moyens. J’étais gardien, mais c’était compliqué de m’acheter une paire de gants. Ça m’a tellement découragé que j’ai décidé de jouer dans le champ. Voilà comment l’histoire a débuté. »
La particularité de l’école nantaise
« J’ai été formé à l’époque du grand Nantes. On parle d’Henri Michel, Robert Budzynski, Vahid Halilhodžić, Loïc Amisse. Ce dernier fut d’ailleurs le premier à me donner un contrat professionnel. Ensuite, il y a eu la génération Pedros, Loko, puis Landreau, etc. J’ai connu cela à la fin de ma formation. De temps en temps, quand il manquait un joueur, j'allais m’entraîner avec eux. J’ai beaucoup appris avec eux. Ensuite, en sélection nationale, j'ai pu côtoyer Henri Michel, qui était à la tête de la Côte d’Ivoire. J’ai toujours un lien avec Nantes. »
Les coachs marquants
« Henri Michel m’a marqué, c’était mon premier sélectionneur quand j’ai opté pour la Côte d’Ivoire. C’était une figure emblématique pour moi. Surtout en venant du FC Nantes. Travailler avec lui, ça a été un bonheur. On avait la même vision du foot. J’aimais son management. En dehors du terrain, il ne nous dérangeait pas trop. Et sur le terrain, il nous transmettait de nombreux messages. En sélection, c’est celui qui m’a le plus appris, mais ça n’est pas pareil qu’en club. À chaque trêve, j’apprenais à ses côtés, mais on ne gère pas une équipe nationale comme un club. En club, celui qui me vient tout de suite en tête, c’est Frédéric Antonetti. De l’extérieur, il a l’image d’une grande gueule. Mais quand tu es avec lui au quotidien, tu te rends compte que c’est un amour. Il adore le foot, il adore échanger. Discuter tactique avec lui, c’était un bonheur. Pour moi, c’est l’entraîneur le plus sous-coté de France. On lui a collé cette image de grande gueule des conférences de presse, car il disait ce qu’il pensait. Le foot, c’est un milieu où les grandes gueules dérangent et font peur. Il n’a pas entraîné les clubs qu’il aurait mérité d’entraîner. Tactiquement, c’était énorme. Il adorait faire jouer son équipe. Pour moi qui sortais du FC Nantes, c’était le top. Il donnait envie, il était toujours derrière nous, on ne pouvait pas se relâcher. »
Entraîneur, une vocation ?
« Pas forcément, car j’ai arrêté ma carrière de footballeur plus tôt que prévu et je ne me projetais pas forcément sur une carrière d’entraîneur. Je ne me posais pas la question. À l’époque, je jouais beaucoup à Football Manager. Puis quand j'ai arrêté, je voulais rester dans le foot, mais il y avait des métiers que je ne voulais pas faire comme agent, tout ce qui a rapport avec la négociation. Moi, c’est le terrain, les stratégies, ça n’est pas ce qu’il y a à côté. Quand j’ai arrêté à Nice, le club m’a dit que je faisais partie de la famille. Ils voulaient que je reste avec eux. Ils m’ont dit que j’avais le choix de ma reconversion. J’ai voulu tenter entraîneur, voir si ça me plaisait. J’ai essayé avec les U17 de l’OGC Nice au début. Tout de suite, j’ai kiffé le truc. J’étais adjoint. On avait une bonne génération, de bons gamins avec qui le courant est bien passé. À partir de là, j’ai très vite compris que c’est ce qui me plaisait ! »
Le passé de joueur, un avantage ?
« Je pense que oui, rien qu’en termes de médiatisation. C’est plus facile d’avoir un poste quand tu as été joueur, plus facile d’avoir accès aux diplômes, c’est évident. Une fois que tu passes tes diplômes, tu es sur le marché. La difficulté pour les entraîneurs n’ayant pas connu le haut niveau, c’est d’avoir accès, malheureusement, aux diplômes. En plus, cela prend plus de temps, car ils vont devoir faire des exploits avec des clubs amateurs pour se montrer, etc… Quand tu as été joueur, tu peux anticiper pas mal de choses sur le métier de coach. Dans les attitudes, le comportement, la manière dont ils peuvent prendre certains messages… Tu t’appuies sur ton vécu, car tu as été de leur côté. Tu sais comment un joueur réfléchit. C’est un plus conséquent d’avoir fait une carrière. »
Ses inspirations ?
« Actuellement, j’apprécie particulièrement ce que fait Roberto de Zerbi, le coach de Brighton. Après, il y a les classiques, Carlo Ancelotti, Jürgen Klopp, Pep Guardiola… Mais De Zerbi a ce truc en plus. Il a un jeu comme j’aime, ambitieux, porté sur la possession, sur l’attaque. C’est un jeu où l’on prend des risques, je me retrouve dans sa philosophie. On joue pour marquer. On prend le temps de préparer nos actions, mais avec du monde dans la zone de finition. Je pousse mes latéraux à participer offensivement, car je demande toujours à un milieu de rester en soutien pour les défenseurs. J’aime bien le jeu porté vers l’avant. J’aime avoir la possession pour bien préparer et épuiser l’adversaire. »
Les entraîneurs africains, des techniciens sous-cotés ?
« Avant, ce qui était important pour les dirigeants africains, c’était de prendre des entraîneurs européens, souvent français, car il y a beaucoup de pays francophones. Ils étaient rassurés, ils avaient peut-être plus de notions tactiques, mais depuis quelques années, vu que les formations sont universelles, on prépare les entraîneurs de la même manière en Afrique qu’en Europe. C’est pour ça que l’on fait plus confiance aux coachs africains. Avec le temps, la tendance va s’accentuer. On ne change pas les choses du jour au lendemain, ça vient petit à petit. Dans les années à venir, les pays africains, à l’image du Maroc en 2022, seront plus nombreux à faire de gros parcours dans les grandes compétitions. À partir de là, les entraîneurs africains seront regardés différemment. »
Le système de jeu le plus équilibré ?
« J’aime bien jouer en 4-3-3 avec une sentinelle et deux 8. Il y a un système que j’aime de plus en plus, c’est avec trois défenseurs centraux, là encore avec trois milieux : une sentinelle et deux 8. Ensuite, forcément les pistons, et deux attaquants. Ce système est le plus équilibré, car tu as toujours tes trois sécurités avec les trois défenseurs centraux. En plus, si tu arrives à combiner avec tes deux attaquants qui ont des profils différents, un qui prend la profondeur, l’autre en pivot, et des pistons purs… ça peut vraiment faire mal, mais il faut qu’il soit maîtrisé. Après, j’ai l’habitude du 4-3-3, un système plus classique. »
La difficulté de lier recherche de résultat et beau jeu ?
« Quand tu es joueur professionnel, l’essentiel, c'est le résultat. La manière passe au second plan. Pourtant, je suis quelqu’un qui adore le beau jeu. Il faut toujours mettre les priorités. À la formation, tu as moins de pression. On te demande de former des joueurs. Tu peux plus te concentrer sur la manière de voir les choses. En professionnel, c’est d’abord le résultat. Si tu as la manière avec, c’est très bien, mais d’abord le résultat. »
Son attitude dans le vestiaire
« Ça dépend. Avant le match, quand on arrive au stade, je suis plus du style à laisser les joueurs dans leur préparation, car chaque joueur à sa préparation. Je les laisse se motiver entre eux, se parler entre eux. Je vais plutôt faire ma grosse discussion la veille, à l’entraînement, et sur ma causerie avant d’aller au stade. Ensuite, j’essaie de ne pas les déranger, même si ça peut m’arriver de donner une dernière consigne, si j’ai un flash-back ou si l’équipe adverse nous surprend par sa composition. Ce sont des ajustements. »
L’importance de la psychologie ?
« C’est ultra important la psychologie. Tu mets des choses en place, et après, ce sont les joueurs qui réagissent sur le terrain. Il faut que les joueurs se sentent en confiance. Pour véhiculer tes messages, c’est la manière dont tu vas les passer qui sera importante. La tactique, c’est crucial, mais le mental a pris de beaucoup d’ampleur avec des paramètres extérieurs au terrain. Par exemple, dans le cas de la Côte d’Ivoire, c’était un problème de confiance. On avait perdu confiance en nous. Il fallait retrouver des sourires, de la confiance. Il fallait faire comprendre aux joueurs que c’était de très bons joueurs malgré la phase de poules. À aucun moment, leurs qualités n’ont disparu. C’était une question de confiance et de collectif. »
Son premier discours à la tête des Éléphants
« Ça a été simple. Ça faisait deux jours qu'on avait la tête dans le guidon après cette défaite 4-0 contre la Guinée équatoriale. On a passé deux jours où on ne savait pas si on était qualifiés. Mon premier discours, le jeudi matin, quand on sait qu’on est qualifiés et qu’on va jouer le Sénégal, c’est : on est ensemble. On est 27 joueurs, on a le staff technique, médical, la communication, les anciens qui ont aussi aidé. On est entre nous. Avec cette délégation, on va le faire ensemble. Il faut retrouver ce groupe compact et soudé. Disons-nous les choses comme des adultes et travaillons ensemble sans tenir compte de tout ce qui se dit et se passe à l’extérieur. Je savais qu’on était capables de gagner la CAN, mais on avait plus de chance de ne pas y arriver. En fait, en être capable, avoir les joueurs pour gagner, je savais que c’était le cas. On était équipés pour gagner. Le football, tu peux parfois tout bien préparer et ne pas gagner, même si tu fais tout bien. Il y a une incertitude, toujours. »
La gestion des egos
« Il y a des egos quand il y a de grands joueurs, c’est normal. Quand j’enlève Franck Kessié sur le huitième de finale, son ego est touché. Mais j’étais très bien entouré, mon staff technique et médical, les anciens de 2006, qui parlaient beaucoup avec les joueurs. Parfois, je n’étais même pas au courant. J’ai un intendant, JC, qui est très proche des joueurs, il parle beaucoup avec eux. Il leur faisait comprendre que mes décisions n’étaient pas contre eux, mais pour le groupe. Que de toute façon, si un joueur n’est pas aligné, je vais avoir besoin de lui, car il va devoir faire la différence en entrant. La gestion des egos s’est bien passée, car les joueurs ont réagi au message. Tout le monde a fait un boulot énorme. »
La part de chance dans le foot
« La chance, il faut parfois compter dessus. En poule, contre la Guinée équatoriale, on perd 4-0, mais c’est presque contre le cours du jeu. On met deux buts refusés, la VAR a un problème, l’arbitre ne va pas voir la vidéo. Les buts sont refusés après les célébrations. On prend des coups sur la tête à chaque fois qu’on égalise, mais que le but est refusé. En huitième, la chance est passée de notre côté. En quart contre le Mali, on est à 10 contre 11, on prend un but à 20 minutes de la fin, on égalise à la 90ème grâce à un joueur qui vient de rentrer, on marque à la 120ème par un joueur qui vient aussi de rentrer. Tu te dis que la réussite est de notre côté. Après, franchement, le fait de ne rien lâcher du début à la fin… la chance, tu vas la chercher, elle ne te tombe pas dessus par hasard. On est allés la chercher. On sait qu’on a eu de la chance sur le match du Mali. Mais sincèrement, tout le monde a fait les efforts. »
Le risque de perte de motivation après un sacre
« Au contraire ! J’adore le challenge, c’est super excitant. En deux semaines, tu as fait un truc de malade. Et tu sais que pour les prochaines années, les gens vont t’attendre pour la confirmation. Le plus dur, c’est de confirmer. C’est ça qui me motive et me donne envie de montrer que ce n’était pas un coup de chance, qu’on est capable de reproduire cela sur le long terme. »
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