Lucarne Opposée
·21 June 2025
Italie 90 : la naissance du Costa Rica

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·21 June 2025
8 juillet 1990, Diego Maradona ne peut sécher ses larmes, vaincu par une froide Allemagne. À des milliers de kilomètres de l’Italie, un pays ne cesse de célébrer les héros d’une Coupe du Monde qui vient de prendre fin. Eliminé en huitièmes de finale, le Costa Rica vient de signer son acte de naissance sur la scène internationale.
L’histoire de la sélection costaricaine de football débute véritablement au début des années vingt. Lors des Juegos del Centenario de la Independencia au Guatemala, le Costa Rica fait ses premiers pas et atomise le Salvador avant d’écraser le Guatemala. Ces débuts victorieux marquent l’acte de naissance continental d’un futur grand de la zone qui domine les années trente et quarante avant de devenir « Los Chaparritos de Oro » dans les années cinquante au terme d’un nouveau Campeonato Centroamericano y del Caribe de Fútbol remporté au Honduras. Reste qu’à cette époque, si le Costa Rica est connu dans sa zone comme un redoutable concurrent, il n’en demeure pas moins qu’il ne voit pas les projecteurs mondiaux se braquer sur lui. La faute à une absence de participation à la Coupe du Monde. D’abord en raison d’un manque de place accordé à la zone. De 1958 à 1978, un seul membre de la zone peut se qualifier à une Coupe du Monde, la naissance de la CONCACAF en 1961 n’y changeant rien. Et déjà, le Mexique est encore au-dessus. Il faut attendre 1982 pour qu’une deuxième place soit accordé aux vingt membres d’une zone qui prépare une nouvelle phase de croissance (le nombre de membres fait plus que doubler entre 1982 et 1996). Sortis dès les qualifications pour le CONCACAF Championship de 1981, battus lors du tour final en 1985, les Ticos ne parviennent à décrocher l’une des deux places. Tout change pour l’édition 1990.
La Sele se retrouve à jouer le billet pour la Coupe du Monde Italie 90 lors du CONCACAF Championship de 1989. La confédération ayant accueilli de nouveaux membres, deux tours de qualification précèdent la phase finale. Le Belize est interdit de compétition pour des dettes impayées, le Canada, le Salvador, le Honduras, les USA et le Mexique ne participent pas au premier tour car ils sont alors les cinq meilleures sélections de la zone au classement FIFA et sont ainsi automatiquement qualifiés pour le deuxième tour. Pour le Costa Rica, il faut donc passer par un premier tour pour rejoindre ces cinq équipes. Le tirage au sort lui offre Panamá. Après un piteux match nul 1-1 à Alajuela dans le stade du LDA, on se dit alors que les choses vont être compliquées pour le Costa Rica. C’est sans compter sur un match retour de folie au Panamá, qui voit les Ticos s’imposer 2-0 grâce à des réalisations de Juan Cayasso, le milieu de terrain de Saprissa et de Hernán Medford, l’attaquant lui aussi de Saprissa. La joie costaricaine est rapidement douchée. Car l’adversaire annoncé au deuxième tour, dernier obstacle avant le tour final, n’est autre que… le Mexique.
Pendant que la Jamaïque est largement dominée par les USA, que le Guatemala créé la sensation en éliminant le Canada, présent à la Coupe du Monde 1986, que Trinidad y Tobago écarte le Honduras et que les Antilles néerlandaises sont balayées par le Salvador, le Costa Rica passe par la case chance. En 1988, la fédération mexicaine de football est accusée d’avoir menti sur l’âge de quatre joueurs de sa sélection U20 qui a participé au tournoi qualificatif de la CONCACAF pour la Coupe du Monde de la catégorie. Révélé par le journaliste Antonio Moreno d’Imevisión (aujourd’hui TV Azteca), le scandale des cachirules (terme emprunté notamment au langage des championnats amateurs, les cachirules désignant alors les joueurs participant à des rencontres pour des équipes auxquelles ils n’appartiennent pas uniquement pour les rendre plus compétitives) explose. Le Mexique est alors banni de toute compétition pendant deux ans, sans jouer, le Costa Rica gagne son billet pour le tour final du CONCACAF Championship de 1989.
Il saisit alors sa chance à pleines mains. La campagne commence mal avec une défaite au Guatemala immédiatement rattrapée deux semaines plus tard par une victoire 2-1 au retour avec des golazos signés Roger Flores et Evaristo Coronado. Arrive le choc face aux USA. Un duel qui se termine dos à dos, chacun s’étant imposé chez lui d’un tout petit but. La lutte pour les deux places qualificatives pour la Coupe du Monde se jouera à trois, Trinidad y Tobago se mêlant à la lutte avec Team USA et la Sele. Américains et Costaricains restent ainsi main dans main en présentant le même bilan face à TyT : un nul et une victoire. Pour les USA, la victoire à Port of Spain lors du dernier match reste dans l’histoire, le but de Paul Caligiuri, entrant dans l’histoire du football national puisqu’il ramène Team USA à une Coupe du Monde quarante ans après l’exploit d’une Coupe du Monde disputée au Brésil et surtout, quatre ans avant que le pays n’accueille la sienne. Cette qualification US arrive bien après le Costa Rica. Ce dernier joue sa qualification en juillet face à un Salvador qui entre alors tout juste en piste (folie du calendrier). Les Ticos se déplacent plein de confiance en terres salvadoriennes alors qu’ils n’ont pourtant pas remporté le moindre match à l’extérieur dans ce championnat. C’est chose faite, une large victoire 4-2 avec des buts du défenseur de Saprissa, Carlos Mario, Juan Cayasso et un doublé de l’attaquant du Supra de Montréal, Leonidas Flores. Ne reste plus qu’à conclure. Le 16 juillet 1989, l’ancien Estadio Nacional est plein, il est libéré par un but de Pastor Fernández. Pour la première fois de son histoire, le Costa Rica sera présent en phase finale d’une Coupe du Monde. Ne reste plus qu’à écrire le plus beau des chapitres.
La fête du Nacional est éphémère. Les lendemains sont terribles. Au point qu’après le tirage, tout le pays se demandait combien de buts le Costa Rica allait encaisser dans son groupe composé de l’Écosse, de la Suède et du Brésil. Alors que le voyage en Italie se profile, le sélectionneur Marvin Rodríguez est licencié et est remplacé par Bora Milutinović.
Avec le salaire le plus bas de tous les sélectionneurs mondialistes, Bora Milutinovic n’a qu’une idée en tête, placer le Costa Rica sur la carte du monde footballistique. « Je pense que le Costa Rica, en tant que pays d’Amérique centrale, est méconnu à bien des égards, et c’est l’un des principaux problèmes de cette nation. C’est pourquoi, avec mon expérience, j’ai pensé que le moins que je puisse faire était de partager mes connaissances avec les gens qui cherchaient une personne qui, à leurs yeux, pouvait réussir », explique-t-il à Belisario Solano Solano. Son premier obstacle n’est pourtant pas sur le terrain. « Ce qui manquait, c’était le temps. Je ne pouvais donc pas perdre le peu de temps que j’avais, j’ai donc choisi le groupe et j’ai commencé à le préparer. Les dirigeants, la presse et le pays en général vivent en fonction des résultats ; ils n’ont aucune idée de ce qu’est un processus et de la nécessité de travailler pour atteindre des objectifs. C’est pourquoi j’ai dû surmonter l’inexpérience des joueurs pour leur faire comprendre que nous allions à une fête, que l’objectif était la Coupe du Monde et que rien de ce qui s’était passé avant ne devait affecter les objectifs fixés pour le tournoi ». Milutinović opère un grand ménage. Evaristo Coronado, Pastor Fernández, Enrique Diaz et Carlos Mario Hidalgo, tous héros de la campagne de qualification sont écartés – suscitant parfois de vives réaction au pays, d’autres, comme Alfredo Contreras quittent le groupe à leur tour pendant la préparation. Une préparation catastrophique, les Ticos ne gagnant qu’un seul de leurs cinq matchs de préparation (quatre défaites) mais qui pointe les limites psychologiques du groupe. « La tournée aux États-Unis m’a montré à quel point les garçons étaient vulnérables et, une fois de plus, leur problème d’inexpérience avec une préoccupation constante pour les résultats, ce que les gens diront au Costa Rica et toujours l’opinion de la presse, présente dans tout et conditionnant le travail d’un groupe. C’est pourquoi j’ai dû me battre pour qu’ils comprennent que nous travaillions pour un objectif clair et défini, qui était l’Italie, et non les matches ou les résultats que nous avions obtenus avant la Coupe du Monde » explique Bora, qui tient bon. Les jours passés à Chicago lors de la tournée de préparation lui permettent de mieux connaître son groupe, les personnes le formant, d’ajuster les ultimes détails, notamment mentaux, qui s’avéreront ensuite essentiels en Italie. Et d’affiner ses principes de jeu. L’heure est alors venue de s’envoler pour l’Italie. Bora a terminé son travail avec le groupe, en soixante-sept jours, il a construit un nouveau type de joueur costaricain, bâti une équipe autour de valeurs communes : effort, discipline et engagement total. Son Costa Rica est un juste mélange de joueurs provenant des grands clubs du pays autour d’une ossature de huit joueurs issus du Deportivo Saprissa, champion national en titre (Róger Flores, Vladimir Quesada, Ronald González Brenes, Juan Cayasso, Hernán Medford, Alexandre Guimarães, José Jaikel et Miguel Segura), cinq d’Herediano (Germán Chavarría, Claudio et Geovanny Jara, Marvin Obando, Ronald Marín), quatre d’Alajuelense (José Chaves, Miguel Davis, Mauricio Montero et Óscar Ramírez), trois de Cartaginés (Luis Gabelo Conejo, Róger Gómez, Héctor Marchena), un de l’AS Limoense (Roy Myers) et un joueur de Puntarenas (Hermidio Barrantes).
Après avoir assisté au choc Brésil – Suède, remporté par les Auriverdes, le Costa Rica entre en scène face à l’Écosse. Pour l’occasion, les Ticos s’articulent autour d’un 4-4-2 losange relativement classique avec en pointe Juan Cayasso et Claudio Jara soutenu par le numéro 10, Óscar Ramírez. Un schéma de jeu qui ne restera immuable tout au long de la compétition. Le duo offensif fait basculer la partie dans l’histoire au retour des vestiaires lorsque Héctor Marchena se lance côté droit, repique dans l’axe, trouve Claudio Jara dans la surface de réparation qui talonne immédiatement pour Juan Cayasso seul qui n’a plus qu’à piquer le ballon devant Leighton. Le Costa Rica vient d’inscrire son premier but en Coupe du Monde et décroche sa première victoire, sauvé notamment par un Luis Gabelo Conejo infranchissable. La défaite concédée lors du deuxième match face au Brésil des Taffarel, Mozer, Dunga, Valdo, Branco et autre Careca n’est finalement pas préjudiciable, l’Écosse ayant battu la Suède, les Ticos et leur maillot rayé noir et blanc (qui n’était pas, comme écrit à l’époque un hommage à la Juventus mais à La Libertad, l’un des clubs doyens du pays) peuvent se qualifier en cas de victoire lors de l’ultime journée.
Milutinović fait le choix de reconduire le même onze pour la troisième fois. Les Suédois se doivent d’être offensifs, s’ils veulent un espoir de qualification. Il n’y pas de round d’observation dans ce match, la Suède pousse fort dès le début de la rencontre et ouvre le score sur coup de pied arrêté, Luis Gabelo Conejo relâchant un ballon dans les pieds de Johnny Ekstrom. La domination suédoise dure une mi-temps. À la pause, Bora explique à ses joueurs que s’ils veulent écrire l’histoire, il ne leur reste que quarante-cinq minutes pour le faire. Alors ses Ticos retournent le match. El Pelícano Medford entre en piste à l’heure de jeu. Sa vitesse déstabilise les Suédois. Il obtient un coup franc que le capitaine Róger Flores coupe au premier poteau, le Costa Rica égalise. La Suède joue son va-tout et se fait piéger en toute fin de match sur un contre éclair de Medford qui s’en va ajuster Thomas Ravelli. 2-1 score final, le Costa Rica est le premier représentant de la CONCACAF à passer le premier tour d’une Coupe du Monde se disputant en Europe, le tout lors de sa première participation.
En huitièmes, le tableau offre la Tchécoslovaquie aux Ticos. L’obstacle est trop grand. D’autant qu’au grand dam de Bora, ses joueurs ont lâché. « Ma conception du jeu s’est effondrée lors du match final en raison de l’euphorie qui s’est emparée du groupe et qui n’a pas pu être surmontée, étant donné que les joueurs ne pensaient qu’au retour à la maison, à la voiture, à l’argent et aux autres prix qu’ils avaient obtenus grâce à ce qu’ils avaient fait lors de la première phase et qu’ils ont pratiquement renoncé à plus », explique-t-il à Belisario Solano Solano. Le Costa Rica sombre peu après l’heure de jeu. Tomáš Skuhravý s’offre un triplé, Luboš Kubík apporte sa pierre à l’édifice d’une merveille de coup franc dans la lucarne. Malgré un espoir un temps entretenu par l’égalisation de Rónald González Brenes, l’aventure des Ticos prend fin sur un lourd 4-1. Le portier Luis Gabelo Conejo est récompensé en étant nommé parmi les meilleurs gardiens du tournoi, Juan Cayasso reste à jamais le premier buteur de l’histoire du Costa Rica en Coupe du Monde. Mais l’héritage sera bien plus grand.
La performance des Ticos lors de ce Mondial italien a des conséquences sur toute la zone. Ajouté au fait que les USA se voient donner l’organisation de l’édition 1994 (avec Bora Milutinović à leur tête), la CONCACAF décide alors de se réorganiser. La confédération, qui ne cesse de croître, voit un nouveau pays se positionner sur la carte du monde et doit donc offrir à ses membres un nouveau moyen de lutter ensemble, de construire est de progresser. La Gold Cup voit le jour l’année suivante. Mettant fin au CONCACAF Championship devenu vulgaire tournoi qualificatif pour la Coupe du Monde, elle s’installe comme la grande compétition de la zone au sein de laquelle le Costa Rica s’installe un temps à la troisième place derrière les deux géants Mexique et USA. Absents des Coupes du Monde 1994 et 1998, les Ticos doivent ensuite attendre l’émergence d’une nouvelle génération pour capitaliser sur les succès de 1990. Avant de voir une confédération se doter de nouveau adversaire dont les footballs se construisent et s’organisent et leur offrir de nouveaux terrains de jeu comme la Nations League pour continuer à progresser. Au point qu’aujourd’hui, le Costa Rica se retrouve bousculé par des Panamá et autre Canada qui tous deux ont découvert pour l’un, retrouvé pour l’autre, une phase finale de Coupe du Monde.
Du côté des Ticos, premier buteur de l’histoire, Juan Cayasso témoignait de ses souvenirs d’enfant lorsqu’il voyait Pelé soulever le précieux trophée. Avec ses coéquipiers, il est venu donner des souvenirs rouges et bleus aux générations suivantes. Elles viennent ensuite garnir les rangs de la sélection au début du XXIe siècle. De la génération Paulo Wanchope en 2002 et 2006 à celle de Bryan Ruiz et son historique quart de finale brésilien, toutes démontrent que le Costa Rica a changé de dimension à partir de 1990, affirment le nouveau joueur costaricain construit par Bora Milutinović. Et comme pour entretenir cela, les héros de la campagne d’Italie ne sont jamais loin. Alexandre Gimarães, l’homme qui avait lancé Medford pour le but de la qualification face à la Suède dirige la sélection aux Coupes du Monde 2002 et 2006, Hernán Medford lui succède à la tête de la sélection, Rónald González Brenes, le dernier buteur prend la tête des U20, quatrième de la Coupe du Monde 2009 (et dont certains sont désormais avec les A) avant d’être assistant chez les A en 2010/11, Óscar Ramírez, son numéro 10 d’alors, se retrouve à la tête des Ticos de 2015 à 2018, les conduisant à la Coupe du Monde russe. Deux ans plus tard, la sélection est dirigée par Ronald González Brenes. Vladimir Quesada s’occupait des U20 jusqu’en 2022. Nombreux sont ceux qui dirigent ou font parti de staff d’équipes au pays. Trente-cinq ans après la formidable campagne de qualification à la première Coupe du Monde de l’histoire du pays, au moment où Bora faisait son retour au pays pour célébrer ce souvenir, les glorieux anciens continuent ainsi de faire progresser le football tico, perpétuant ainsi leur propre héritage.
Par Grégory Chaboche et Nicolas Cougot pour Lucarne Opposée. Initialement publié le 20/06/2020, mis à jour le 21/06/2025.